DORDOGNE. Dans le vignoble de Monbazillac, la Chambre d’agriculture, le Conservatoire des espaces naturels (CEN) d’Aquitaine et la Cave de Monbazillac expérimentent des pratiques agricoles innovantes en alternative à l’emploi d’insecticides.
La culture de la vigne est confrontée à plusieurs nuisibles et ravageurs qui peuvent avoir des effets néfastes graves sur les récoltes. Dans le secteur de l’appellation de Monbazillac, la pression qu’exerce l’Eudémis de la vigne est particulièrement significative. Face à l’Eudémis, l’emploi d’insecticides est une méthode couramment utilisée en viticulture.
Des alternatives aux insecticides semblent possibles, c’est ce que veut vérifier la Chambre d’agriculture de Dordogne qui a lancé avec ses partenaires le programme scientifique « BatViti – BatMan ». Ce projet consiste à utiliser des chauves-souris pour lutter naturellement contre l’Eudémis de la vigne. Il s’agit tout simplement d’utiliser la nature pour lutter contre ses propres méfaits, c’est ce que l’on appelle classiquement la lutte biologique.
Qu’est-ce que l’Eudémis de la vigne ?
L‘Eudémis (Lobesia botrana), aussi connu sous le nom de ver de la grappe ou de tordeuse, est un papillon de 5 à 8 mm de long, d’une durée de vie de 7 à 12 jours, que l’on compte parmi les ravageurs les plus fréquents et les plus préjudiciables du vignoble français.
Sur le secteur de Monbazillac, l’Eudémis compte 3 générations complètes par an, voire 4 dans des conditions climatiques exceptionnelles. Cela signifie que sur un cycle végétatif annuel, de début avril à fin septembre, se succèdent tour à tour 3 voire 4 cycles de vie de l’Eudémis (1 cycle : papillon, œuf, chenille, chrysalide).
Ce papillon cause des dégâts importants sur la vigne qui peuvent être directs (destruction de récolte) mais pour l’essentiel indirects en altérant fortement la qualité de la vendange : les larves (chenilles) du papillon perforent les grains, entraînant l’écoulement de jus sucré, ce qui favorise l’installation de la pourriture grise (Botrytis ou Aspergilus).
L’Eudémis de la vigne © Chambre d’agriculture de la Dordogne
Quel rôle pour les chauves-souris dans la régulation des tordeuses ?
La France métropolitaine compte 33 espèces de chiroptères (chauves-souris) dont plus d’une quinzaine ont été recensées dans la vallée de la Dordogne. Toutes ces espèces sont protégées au niveau européen et français.
Les chauves-souris ont un mode de vie nocturne et se dirigent la nuit grâce à un système d’écholocation, essentiellement dans des fréquences ultrasonores. Leurs caractéristiques sont propres à chaque espèce ou groupe d’espèces, ce qui rend possible l’identification acoustique des chiroptères par le biais d’un détecteur d’ultrasons.
Les chiroptères occupent des niches écologiques différentes en fonction de leur habitat de chasse, de leur hauteur de vol et de leur stratégie de capture. Les chauves-souris européennes sont insectivores et chassent principalement des insectes (lépidoptères, diptères, coléoptères) et des araignées.
En raison de leur métabolisme élevé, notamment dû à leurs pratiques de vol et à l’utilisation de l’écholocation très énergivore, elles consomment de grandes quantités d’insectes.
Durant les mois d’été, période de lactation des femelles, elles peuvent ingérer plus de 2/3 de leur poids chaque nuit. Les chauves-souris choisissent leur site de chasse en fonction de la disponibilité de la ressource. On peut donc imaginer qu’en favorisant leurs installations à proximité des vignobles et des vergers, les chauves-souris aident à réguler les populations de papillons de vers de la grappe (vignes) et du carpocapse (prunier, pommier), voire de la mouche Suzukii ou du moustique Tigre. C’est tout l’enjeu du projet BatViti-BatMan.
Murin de Bechstein © Pascal Verdeyroux (EPIDOR)
Murin à oreilles échancrées © Pascal Verdeyroux (EPIDOR)
Minioptère © Pascal Verdeyroux (EPIDOR)
Une approche territoriale innovante
Les élèves présentent leur travail © Chambre d’agriculture de la Dordogne
Pose d’un nichoir © Chambre d’agriculture de la Dordogne
Nichoir à Monbazillac © Chambre d’agriculture de la Dordogne
Le projet « BatViti – BatMan » partage deux objectifs complémentaires, à portée scientifique et technique d’une part mais aussi sociétale à travers un volet pédagogique qui associe plusieurs classes environnantes.
Sur l’aspect scientifique, cette expérimentation programmée sur 5 ans vise à identifier les facteurs (composition et qualité du paysage, ressources en proies…) qui jouent sur la fréquentation des vignes par les chauves-souris ainsi qu’à évaluer les niveaux de prédation des chauves-souris sur l’Eudémis en zone viticole (analyse des excrétions).
Après avoir appréhendé les facteurs favorables à l’installation des chiroptères aux abords des vignes, et si les résultats sont concluants, cette méthode de lutte contre l’Eudémis sera promue sur d’autres secteurs viticoles.
Convaincu de la portée positive d’une telle démarche, les porteurs ont également souhaité développer un volet pédagogique au projet en associant des classes du collège Henri IV de Bergerac et du lycée agricole de La Brie à Monbazillac
Dans le cadre de leur programme en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT), 100 enfants de 6ème étudieront le cycle de la chenille et du papillon puis présenteront à leurs ainés de classe de 5ème, la problématique des papillons et des vers de la grappe sur les cultures du territoire (vignes, pruniers, pommiers) pour finir avec une proposition de solution : le recours à la chauve-souris.
100 enfants de 5ème prendront ensuite le relais et réaliseront, avec leur professeur de technologie, des nichoirs à chauves-souris (en lien avec le programme de l’éducation nationale qui prévoit l’étude de l’habitat de plusieurs animaux).
Un sondage sera aussi réalisé auprès des élèves et de leurs familles afin de commencer un début de cartographie des populations de chauve-souris sur le territoire. Le 16 septembre, une nuit de la chauve-souris a été organisée avec des études acoustiques des espèces de chiroptères présentes.
Du côté du lycée agricole de La Brie à Monbazillac, les classes de biologie seront parties prenantes du projet en suivant leurs propres nichoirs et en travaillant conjointement avec le collège Henri IV sur les aspects pédagogiques.
Un projet ambitieux qui nécessitera au moins 5 ans d’étude et de suivi pour identifier les facteurs de réussite de l’utilisation des chiroptères dans la lutte contre l’Eudémis.