Les dessous de l’image
Par Hervé Sentucq
Le parc du château de Marqueyssac est immense et d’une beauté superlative. Ce cadre idyllique attire des wagons de touristes venus rêver, apprendre, admirer ou se détendre. Alors si je vous dis que l’éclairage idéal en ce mois d’avril, celui qui voit les buis sculptés par la lumière tout en étant le moins possible plongées dans l’obscurité des ombres portées des grands arbres, oui si je vous dis qu’après plusieurs heures sous un soleil de plomb je m’aperçois que The MOMENT est vers 17h… Glourps !
Fermez les yeux, imaginez des couples ou des groupes de dizaines de personnes déambulant dans les allées et moi dont les yeux oscillent frénétiquement de gauche à droite. 6 photos verticales pour couvrir les 180 degrés de champs horizontal. Je me suis mis dans un cul de sac volontairement pour rester concentré. Mais l’apparence de labyrinthe du jardin pousse les plus joueurs (et il y en a plus que je pensais) à emprunter même les voies qui semblent crier « Sans issue ! ». Toutes les 30s j’ai donc une visite suivie d’un volte-face en passant une fois sur deux par une photo au dessus de mes épaules… Argh argh ! Restons concentré, puisons en soi la force du petit scarabée. 6 photos, l’espace est libre, clic, ah l’espace 5 vite ah non trop tard, peut-être l’espace 1… 3 minutes d’attente, non je reviendrai, ah enfin la moitié de l’espace 4…
1h15 plus tard, clic… Han ! (exclamation suggérant l’effort physique). Hop (exclamation suggérant l’exécution d’une manœuvre habile) n’étant pas vraiment approprié. Au milieu de l’exercice soulignons le passage d’une grosse pintade qu’on nomme paon suivi par des paonnes (si vous aimez le jeu Où est Charlie ? y’a 5 volatiles à trouver dans l’image).
Avril, quel beau mois, vous noterez l’arbre fleuri à gauche du château. Vous ne remarquerez pas le grillage, le monte-charge et les échafaudages présents ce jour-là (et bien d’autres jours) pour refaire le toit (une oeuvre d’art au passage). J’ai tout démonté et nettoyé, pixel par pixel, un jour où je savais que je ne serai pas dérangé toute les 30s. Au final j’espère que cette image rend honneur au travail éblouissant des jardiniers et penseurs du jardin. Perché sur de hautes falaises calcaires, le jardin domine la vallée de la Dordogne. D’ailleurs, au milieu de l’image sur son coteau on peut distinguer le château de Castelnaud.
Pour info, la pratique ancestrale de sculpture sur buis remonte au IIe siècle avant Jésus-Christ dans les jardins romains. Ici, 150 000 buis centenaires taillés à la main quand même, ça envoie du bois. Sur cet art topiaire souffle le vent du zen. Puisse-t-il caresser un jour votre joue !
NB :
Pour une fois, j’ai utilisé une projection non droite. L’horizon étant placé plutôt en haut de l’image, on se retrouve avec 40° de champ sous l’horizon. Dans un tel cas on en appelle à la projection courbe dite de Mercator. Les deux autres projections tuilées, à savoir la cylindrique et la sphérique, ont tendance à respectivement étirer ou au contraire tasser exagérément tout ce qui se retrouve très éloigné de l’horizon. La projection Mercator est le meilleur compromis possible. Du moins en photo. En géopolitique c’est une autre histoire.