Les dessous de l’image
Par Hervé Sentucq
Ce village, construit tout en grès rouge, contraste avec les verts tendres d’avril. Les feuillages commencent à s’épaissir mais laisse encore entrevoir ce qu’ils vont bientôt cacher. Les arbres en fleurs apportent des touches de couleurs supplémentaires. Lumière du soir pour donner du relief aux maisons nimbées de pâles reflets, comme frottées. J’ai rendu deux visites à Collonges. La lumière semble jouer sans cesse avec le grès rouge. Est-ce qu’avec une lumière intense le rouge s’éteint ? Et inversement. Pour des teintes chaudes et oppressantes faut-il privilégier un ciel couvert et orageux ? Mais si toutes ces considérations spectrales peuvent toucher vos âmes de coloristes, j’aimerais surtout attirer votre attention sur la composition. Car c’est surtout là où j’ai concentré mes efforts. J’ai longtemps tourné autour du paysage, de près, puis en prenant du recul et enfin en m’éloignant franchement. Au final cette vue est une compression de perspective au 400mm soit 12° de champ englobés seulement (ça change des 120° habituels, pour le rapport je vous laisse calculer). Au bord d’une petite route peu fréquentée, dans le trou d’aiguille miraculeusement préservée entre deux bosquets. Deux heures à me positionner précisément afin de ne pas avoir de branches qui entre dans mon cadre. A mettre des pierres sous le pied de mon tripode affrontant la pente du fossé. Jouant de la colonne centrale pour atteindre ce point précis de l’espace au centimètre près qui va m’autoriser ce cadrage audacieux. Comme souvent j’entremêle les branches qui me gènent (quand je peux les atteindre) puis leur redonne leurs positions après ce yoga impromptu. Enfin comme souvent lorsqu’on a trop versé dans un extrême, on se repositionne pour au contraire laisser apparaître une branche floue de chaque côté, ceci pour apporter un plan supplémentaire à l’image et conforter dans l’idée qu’on est en présence d’une vue au téléobjectif.
Un ami m’ayant commenté mon image… C’est pas qu’on est fainéant dans la famille mais quand on peut donner la paroles aux autres… « Compo tout en finesse, pas facile, de belles harmonies des lignes de force crées par le haut des toits, la haie de pins au fond et le reste des arbres, qui font se diriger le regard vers le manoir du fond. »
La composition est en effet tout en zig-zag afin de faire se promener le regard. Rien n’est laissé au hasard, aucune partie de l’image n’est inutile. On y rentre ou on en sort par le cabanon au centre, par la villa en haut à gauche, par la piste en bas à droite. Le point fort est à droite (sens de lecture européen oblige) et ramène inlassablement le regard à lui tout en invitant à circuler dans sa périphérie. Mais bon je ne voudrais pas tomber dans le travers de l’art contemporain qui vous explique longuement ce que vous devez comprendre. Ma chérie ferait sûrement un commentaire plus laconique du style : « ouais c’est bien ! »